Economie bleue et pillage des ressources halieutiques en Afrique – Jean-François Akandji-Kombé
Jean-François Akandji-Kombé, professeur des universités en droit public, codirige le Département Droit social de l’Institut de recherche juridique de la Sorbonne ainsi que le Master recherche Droit social de Paris 1. Doyen honoraire de la Faculté de Droit de Caen, il est également président de l’institut panafricain d’action et de prospective (IpaP).
Dans cette interview, Jean-François Akandji-Kombé expose les enjeux de l’économie bleue pour l’Afrique et explique pourquoi il y a recrudescence des différends sur la délimitation de frontières maritimes.
Quelques verbatims extraits de l’interview.
Sur l’économie bleue en Afrique
Que nous regardions la mer comme un territoire économique est une nouveauté en Afrique. Parce que l’Afrique n’ayant pas eu, pendant très longtemps, les moyens d’exploiter la mer, les moyens d’abord de pouvoir politiquement dominer la mer, les Etats et peuples africains n’étaient pas des Etats, des peuples de la mer. Ils n’étaient pas tournés vers la mer, ils étaient plutôt tournés vers la terre.
Sur les accords entre l’Union Européenne et les pays ACP en matière de pêche
La structure même des accords interroge. Ce sont des accords bilatéraux. Il n’y a pas d’accord avec des ensembles d’Etats. Les négociations internationales qui débouchent sur des règles de droit à travers des accords sont des rapports de force. Dans ces rapports de force, l’UE pèse autrement plus lourd que le Sénégal pris tout seul, ou la Guinée prise toute seule, par exemple. Ce n’est pas un hasard si l’Union Européenne milite plutôt pour des accords de ce type là.
Sur le pillage des ressources halieutiques
Nous sommes en train de dilapider nos ressources pour demain. Parce que le pillage de nos côtes, le pillage des mers, lorsque cela atteint, la mer territoriale des Etats et la zone économique exclusive des Etats, que nous vendons pour des avantages insignes, c’est aussi le trésor de nos enfants et de nos petits enfants, demain.
Sur les territoires maritimes sans maître en Afrique
Les Etats africains n’ont pas les moyens de la souveraineté qui est affirmée dans les accords qu’ils signent et dont les chefs d’Etat se plaisent d’affirmer. Ils n’ont pas les moyens de surveiller leurs côtes, il n’y a qu’à voir la question de la contrebande et du piratage. Les Etats africains font appel à l’Europe et aux USA, pour pouvoir surveiller leurs propres côtes. Nos avons des tôliers russes, japonais, chinois, qui rentrent dans les eaux territoriales des Etats africains sans jamais avoir signé aucune convention. Nous avons des territoires sans maître, de fait. Chacun vient et se sert. Parce qu’il n’y a pas la puissance d’exercer la souveraineté et ni le pouvoir de la surveillance et de la contrainte dans cet espace là.
Sur les conflits frontaliers en Afrique
La frontière est d’abord une prétention politique qui est de constituer une communauté homogène, sur laquelle va pouvoir régner le même impérium et même pouvoir, et sur laquelle les pouvoirs extérieurs n’ont pas de titre à agir. Elle a ainsi vocation à être contestée parce que vous n’avez pas une frontière à vous tout seul, vous avez une frontière qui vous sépare de quelqu’un. Les conflits frontaliers ne sont pas spécifiques à l’Afrique. Dans le cadre de l’Afrique, cela a été aggravé par le fait que les frontières africaines n’ont pas été décidées par les africains. Il y a aussi des difficultés du fait que pendant très longtemps, alors même que l’Union Africaine avait posé le principe de l’intangibilité des frontières, rien n’a été fait au plan continental pour donner corps à ce principe en traçant des frontières incontestables.