Les défis, enjeux et opportunités de l’Afrique contemporaine – Elikia M’Bokolo

Elikia M’Bokolo est spécialiste de l’histoire de l’Afrique.

Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, il obtient son agrégation d’histoire en 1971 et entame une carrière universitaire internationale en France, aux Etats-unis et au Portugal entre autre. Elikia M’Bokolo est membre de plusieurs conseils scientifiques et de comités de rédaction de revues sur l’Afrique. Il est également le producteur de l’émission « Mémoire d’un continent » sur RFI. En 2010, il met en scène la quadrilogie « Afrique(s), une autre histoire du 20ème siècle ». En 2015, Il contribue à la conception du catalogue d’exposition « Beauté Congo -1926-2015-Congo Kitoko ».

Dans cette troisième partie, M’Bokolo démontre comment l’organisation stratégique des sociétés africaines face aux acteurs extérieurs s’apparente à une machine à gagner individuellement et à perdre collectivement. Il analyse les dynamiques de séniorité et du mode de transmission des connaissances entre les anciens et les jeunes au sein de l’intelligentsia africaine. Sous le prisme de la question de la légitimité, il aborde l’éternelle tension entre l’intellectuel et le politique en Afrique. Il questionne la dichotomie modernité et tradition dans le contexte africain et défend la thèse selon laquelle l’Afrique a toujours été dans la modernité mais n’a pas toujours eu l’opportunité de s’épanouir pleinement. Enfin il présente les conditions préalables à la renaissance et à l’émancipation africaine. Cette dernière partie apporte des informations précieuses sur les causes fondamentales des conflits en Afrique.

Quelques verbatims extraits de l’interview.

Sur le livre « Trade & politics in the Niger delta » de Diké

Diké montrait que les africains étaient seuls face à l’Angleterre mais il y a eu des divisions à caractère ethnique, entre peuples du Delta et les autres. Parmi les peuples du Delta, il y a les divisions entre grands chefs ou grands hommes. C’est ça qui a fait qu’ils n’ont pas réussi à faire bloc. De la même manière quand on voit dans la région où l’on est, elle est fractionnée alors que ces gens ont une sorte d’identité et d’intérêts communs parce qu’ils ont été mêlés à des siècles de traite et d’esclavage ensemble.

Sur l’erreur des politiques africains au lendemain des indépendances

Chacun des groupes des espaces politiques a voulu se débrouiller tout seul : la région de Libreville, la région de Port-Gentil, la région de Luango ont voulu jouer pour soi alors que ces gens se connaissaient et se fréquentaient les uns des autres. Ils étaient même parents. A l’intérieur de chacun de ces espaces, chacun a voulu jouer son propre jeu. Et ça pour nous, avec la culture des années 60, c’était clair que c’est ce qui nous est arrivés dans les années 60 quand nous avons perdu la bataille de l’indépendance. A la fois, chacun des territoires a voulu joué son jeu et à l’intérieur de chaque territoire, chacun des groupes politico et autres ont en fait de même. A l’intérieur des groupes, des personnes ont voulu jouer leurs propres jeux.

Sur l’importance de l’histoire

Quand on ne réussit pas la transition politique, ça veut dire que les impératifs intellectuels, culturels et peut-être idéologiques de la transition n’ont pas été compris. On pense que l’accent est ailleurs et quand on ne met pas les forces ensemble, on ne comprend rien.[…]Notre continent a le malheur de ne pas assez s’intéresser à l’histoire.

Sur le rôle des intellectuels

L’une des idées que je développe et qui n’est pas très facile à accepter c’est que nous les intellectuels devons assumer la totalité de notre condition. Je dirais que nous n’avons pas vocation à devenir des politiques et montrer aux politiques qu’ils ne doivent pas avoir peur de nous parce que notre légitimité à nous, elle est acquise à perpète et la leur est provisoire. Il faut leur montrer que pour qu’ils soient légitimes, il ne suffit pas qu’ils se fassent élire, il faut qu’ils posent leurs actions par des œuvres et pour faire ces œuvres, ils ont besoin de nous.

Sur le débat entre tradition et modernité

A un moment donné des problématiques sont apparues et elles opposaient traditions et modernités. On la voit apparaître assez clairement au lendemain de la 2ème Guerre Mondiale lorsque l’ONU et d’autres institutions inscrivent ça dans les choses qu’il faut étudier. Il fallait faire passer les sociétés africaines de la tradition vers la modernité sans qu’on sache d’ailleurs ce qu’étaient les traditions ? si dans la tradition il n’y avait pas des choses à conserver et qu’était la modernité ? Beaucoup disaient que la modernité c’est l’industrialisation, d’autres disaient que la modernité c’est le développement, d’autres ajoutaient encore la modernité c’est l’émergence de ces groupes sociaux ou classes sociales intermédiaires qui seraient porteurs de ces idées nouvelles. J’ai l’impression qu’à cette époque, un certain nombre d’intellectuels africains se sont cramponnés à la tradition en disant c’est notre patrimoine, on ne veut pas la changer sans condition et sans inventaire. Certains se sont agrippés à ce que certaines branches de la pensée coloniale disaient. Moi je regarde avec beaucoup de suspicion l’écho considérable qu’a eu le livre du père Tempels sur la philosophie Bantoue. […]Ce que j’ai beaucoup aimé chez Paulin Hountondji, c’est qu’il est rentré dans le sujet en disant : « Quelle est cette philosophie qui n’a pas d’auteurs, qui n’a pas de textes, qui n’a pas de référents ? Du coup, il y a une philosophie rwandaise, une philosophie ethnique etc. Et l’Afrique là-dedans ?». Les bons chercheurs ont montré que l’Afrique a toujours été dans une modernité.

Sur les financements africains de la recherche

Dans l’histoire de l’Afrique, un seul pays a mobilisé les ressources pour la recherche et pour la pensée. C’est le Ghana de Kwame Nkrumah. Depuis, rien.
 

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