Les industries culturelles, le développement et la question de l’imaginaire en Afrique | Toussaint Tiendrebeogo
Toussaint Tiendrebeogo est spécialiste de programmes, en charge des politiques de développement des industries culturelles et créatives à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Avant ses fonctions à l’OIF, Toussaint Tiendrebreogo a travaillé comme expert pour l’UNESCO, la Commission européenne, l’Union économique et monétaire ouest-africaine, etc. sur des sujets relatifs aux stratégies de développement, de régulation et de financement des filières culturelles. Il a également été producteur d’un certain nombre de films dont « Le jour où Dieu est parti en voyage » de Philippe Van Leeuw (2009), « Tasuma » de Daniel Kollo Sanou (2003) ou encore « A nous la vie », première série de fiction panafricaine réalisée par Dani Kouyaté (1998).
Il est diplômé de l’École nationale pour les métiers de l’image et du son (FEMIS) et du Centre d’études diplomatiques et stratégiques (Paris). Depuis 2008, il est professeur associé au département Culture de l’Université Senghor d’Alexandrie.
Dans cet entretien accordé à Thinking Africa, Toussaint Tiendrebeogo dresse un tableau des industries culturelles africaines et francophones, apporte un éclairage sur les enjeux de développement de ces industries et argumente sur la question des imaginaires en Afrique.
Quelques verbatims extraits de l’interview
Sur la définition des industries culturelles
On parle d’industries culturelles en lien avec les activités qui ont recours à des procédés et des techniques industrielles dans leurs modes à la fois de production mais aussi de commercialisation, de mise à disposition auprès du public… Le point commun entre les différentes filières culturelles est qu’elles ont pour matière première la créativité. Ensuite ce sont des industries qui produisent et communiquent des sens et du symbole. Ce sont enfin des industries pour lesquelles la propriété intellectuelle, notamment les droits d’auteur, est un composante essentielle et nécessaire.
Sur les besoins des industries culturelles africaines
Aujourd’hui, le besoin en Afrique, pour les industries culturelles est de pouvoir compter sur un cadre juridique, réglementaire et économique qui favorise les investissements et qui leur permet aussi d’accéder aux investissements pour réaliser des infrastructures de base nécessaires. Si, par les APE, les entreprises européennes peuvent contribuer à réaliser ces investissements et par là même occasion à faire bouger le cadre réglementaire nécessaire, pourquoi pas ? Mais cela aboutirait à l’existence d’industries culturelles qui peuvent ne pas avoir de contenus africains. L’existence de salles de cinéma dans un pays, par exemple, ne veut pas forcément dire développement d’une production nationale.
La spécificité des industries culturelles
Les filières d’industries culturelles ont ceci de particulier qu’elles sont des filières liées au commerce, mais elles sont aussi des filières porteuses de sens et qui véhiculent des valeurs. De ce point de vue, on devrait prendre des instruments de politique publique, arriver à la fois à accueillir ces investissements dont on a besoin mais aussi à veiller à ce que les différents intervenants et acteurs des filières puissent également prendre en compte les impératifs de valorisation de contenus nationaux qui permettent de mettre en lumière et valoriser ce que le génie créateur de leurs artistes ont à proposer.
Sur les imaginaires
Les imaginaires constituent la première ressource pour pouvoir transformer le monde. Quand on pense que l’on est capable de quelque chose, quand on a la conscience que l’on est soi-même à travers son histoire, son vécu et que l’on est acteur de sa propre destinée, on peut plus facilement se mettre en mouvement.
Sur le savoir-faire traditionnel
L’un des drames de l’Afrique est que nous nous sommes laissé enfermer mentalement par des concepts qui ont été théorisés souvent avec des regards qui nous sont étrangers. Si l’Afrique estime que tout son savoir-faire traditionnel est une filière de gisements stratégiques pour elle, il lui appartient de retravailler les concepts de sort à pouvoir les prendre en compte.
Sur la consommation culturelle et artistique
La consommation culturelle et artistique s’apprend et s’entretient. Quand des pans entiers, des générations entières en arrivent à ne jamais un livre écrit par un africain, à ne pas voir de films produits en Afrique, à ne consommer que des vidéos qui ne sont conçus qu’en Asie, on peut se poser la question de l’appétit ou de l’appétence que de tels consommateurs pourraient avoir pour la production de contenus africain.