Fadel Barro est le co-fondateur du mouvement Y en A marre, initié en 2011 à Dakar.
Dans cet entretien accordé à Thinking Africa en septembre 2014, le journaliste activiste sénégalais revient sur la genèse de son mouvement, apporte un éclairage sur les raisons et les conditions de la diffusion de l’esprit « Yenamarriste » sur le continent africain et développe le sens « d’être utile à son pays », l’ambition de Y en a marre.
Fadel Barro rappelle également l’importance de la culture, expose sa vision du leadership et explique pourquoi il conteste la vision de l’Afrique de demain de Achille Mbembe.
Ci-dessous, quelques verbatims, extraits de l’interview.
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– Sur le sens de Y en a marre:
« C’est la contestation qui nous a fait connaître, mais Y en a marre est né avec son projet de construction. La contestation, les spectacles, le rap, c’est la partie visible de l’iceberg mais si le mouvement tient jusqu’à présent, c’est parce que sincèrement, sérieusement, nous travaillons à construire demain. »
– Sur l’avenir du Sénégal:
« On ne peut pas prévoir comment le peuple sénégalais va se comporter. Le peuple sénégalais dit quelque chose depuis 2000, mais les hommes politiques ne l’écoutent pas.
Le peuple sénégalais est aujourd’hui assez mature et résolument engagé sur un chemin. Soit les hommes politiques suivent ce chemin, soit le peuple le leur imposera. »
– Sur Macky Sall:
« Nous n’avons jamais eu foi en Macky Sall. Ce n’est pas par rapport à sa personne, mais plutôt par rapport à sa manière de faire la politique, et au formatage dont il est issu. Parce qu’il n’était pas en rupture avec ce qui s’était passé. Et il n’a pas posé les jalons de cette rupture. »
– Sur le défi à relever:
« Quand le défi baisse d’intensité, l’être humain naturellement, soit il baisse les bras, soit il est récupéré par le système. Aujourd’hui, il n’y a plus de défi Abdoulaye Wade, qui cristallisait toutes les frustrations. Comment devons-nous maintenir la flamme et conserver cet espoir suscité par le mouvement Y en a marre? On s’est adapté en gardant le cap, c’est-à-dire arriver à la république des citoyens, arriver à l’émergence d’un nouveau type de sénégalais et d’africains. »
Sur l’importance de la culture:
« On a vite compris qu’il faut toucher les gens dans leur vécu, dans ce qu’ils font, dans ce qu’ils font voire dans leurs croyances. Il faut aller là où ils ont leur oreille attentive, pour leur parler.
C’est la raison pour laquelle nous avons utilisé le HipHop pour toucher la jeunesse, mais aussi les langues nationales. Nous n’avons pas non plus hésité à associer les marabouts et les chefs religieux dans notre démarche.
Il est extrêmement important de prendre en compte la culture de l’individu pour l’emmener à un changement escompté, meilleur que le comportement que nous avons aujourd’hui. »
Sur le leadership:
« Etre leader, c’est un don de soi. On ne peut pas être leader pour se servir. C’est une certaine manière de s’engager, d’aider les gens à aller de l’avant, sans contrepartie.
On n’est leader que dans sa réalité. Il faut donc avoir une grande capacité de compréhension de sa réalité, d’interroger les maillons manquants, de trouver ce qu’il y a faire et d’être le premier à le faire. »
– Sur la nourriture intellectuelle:
« Ce qui alimente notre réflexion de tous les jours, c’est le vécu quotidien des africains. Ce qui alimente tous les jours notre façon de faire, c’est une réflexion presque ponctuelle, pour savoir comment nous sortir de cette situation, en nous projetant dans l’avenir. »
– Sur l’Afrique de demain:
« Je suis toujours surpris de ceux qui se défaussent sur la génération à venir. Les africains se sont suffisamment défaussés sur l’avenir, il est temps qu’on arrête. Au lieu de prendre aujourd’hui nos responsabilités, on les reporte à demain.
Il faut redéfinir les paradigmes de ce qu’est le développement. Il faut que les africains soient suffisamment fiers de ce qu’ils sont aujourd’hui et se plaisent comme tels. Et se disent que c’est aujourd’hui que les choses doivent se faire. Il faut que les africains acceptent de mouiller le maillot, et c’est aujourd’hui qu’il faut le faire. Il faut que les africains acceptent de souffrir aujourd’hui pour que demain nos enfants et petits-enfants, ne vivent pas les mêmes galères que nous vivons aujourd’hui. »
– Sur l’appel aux élites africaines:
« A toute cette élite africaine qui est venue se former en occident, il est temps d’essayer d’envisager de servir leurs pays à travers l’expérience et la formation acquises ailleurs.
Il faut ce mouvement de retour, mais pas un retour dans le vide. Nous devons créer les conditions pour revenir. »