Par Mara Jorge | Doctorante en Droit comparé.
Résumé:
À l’occasion de la rencontre entre Thinking Africa et le Prix Nobel de la Paix de 2011, Mme Leymah Gbowee, le 27 septembre 2013, nous avons été interpelés par la question de la participation des femmes dans les médiations au niveau du continent Africain. Mme Gbowee est l’une des femmes africaines qui participe d’une main ferme dans la construction de la paix en Afrique. Mais force est de constater que malgré leur investissement, les femmes restent largement sous-représentées dans les médiations des conflits du continent. Elles sont depuis longtemps victimes de discriminations vis-à-vis des hommes au niveau des institutions nationales, régionales et internationales. Depuis l’adoption du Protocole à la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples relatifs aux droits des femmes en 2003, l’Union Africaine s’est engagée à respecter des critères de parité au sein de ses institutions, ainsi qu’à mettre en œuvre des mesures concrètes visant à favoriser une participation plus active des femmes dans les actions de l’Organisation. Le rôle de médiateur, de facilitateur, de conciliateur ou encore de négociateur est toujours octroyé à des figures politiques de sexe masculin, sans formation particulière préalable en médiation, alors même que le continent regorge de femmes qualifiées et légitimes qui sont des figures de poids sur la scène politique régionale et qui ont une participation très active dans les processus de paix. Les femmes sont toujours reléguées à un rôle secondaire dans ces processus, leur participation se faisant sentir surtout au stade de la mise en œuvre des accords de paix.
Introduction:
Les hommes sont la plupart du temps les principaux acteurs dans les conflits, mais aussi c’est à eux que l’on a recours pour la résolution des conflits. Ils se trouvent alors en quelque sorte en position de « juge et partie » dans les négociations de paix. Les femmes quant à elles sont parmi les principales victimes des conflits qui affectent le continent africain, mais elles restent encore en dehors des processus de règlement des conflits dans le cadre de l’Union Africaine (UA), et de manière générale, alors même que la gente féminine constituerait un apport précieux dans la résolution des conflits, en raison de leurs expériences personnelles, du rôle social essentiel que la femme joue en Afrique.
Les femmes africaines participent très activement dans la construction de la paix du continent, au niveau des communautés de base et des associations de la société civile, par la promotion d’un message de paix et de réconciliation aussi bien auprès des communautés qu’auprès des autorités politiques. Mais leurs voix ne sont pas encore suffisamment entendues à un niveau décisionnel élevé. Elles se voient alors reléguer le rôle de simples accompagnatrices et/ou d’observatrices dans les processus de paix, sans pouvoir réellement avoir un mot à dire dans la prise de décisions. Cela a été le cas dans les négociations de paix qui se sont tenues à Arusha pour le conflit burundais et celui de la Casamance au Sénégal. De même lors du conflit libérien, les femmes instigatrices des débats pour la paix tenus à Accra, ont dû se contenter des conversations de couloir pour faire passer leurs messages. Le même scénario a eu lieu dans le long processus de paix au Congo (RDC).
Les raisons de la marginalisation des femmes dans les médiations sont nombreuses. Certains auteurs soutiennent que cela peut être notamment lié au caractère maternel des femmes qui les conduit à être plus indulgentes et à faire plus de concessions que celles attendues par les hommes, lesquels sont surtout focalisés sur leurs propres intérêts personnels (Whitman, 2005). L’inclusion des femmes dans les médiations au niveau des institutions régionales africaines comme l’Union Africaine ne se concrétisera pas tant que les femmes continueront à être perçues seulement comme des victimes des guerres (Whitman, 2005). On relègue alors à la femme à un rôle de « sujet passif » exclues dans la prise de décisions, comme si elles n’étaient que des acteurs distants des conflits.
L’Organisation des Nations Unies (ONU) a montré sa préoccupation concernant la faible participation des femmes dans les processus de paix et s’est doté d’instruments permettant la mise en place de règles plus inclusives en la matière. C’est ainsi qu’a été adoptée la résolution 1325 (2000), par le Conseil de Sécurité, demandant au Secrétaire Général des NU ainsi qu’aux États membres de promouvoir la représentation des femmes dans les processus de paix, notamment au niveau décisionnel. Selon une déclaration de Rachel Mayanja, ancienne Conseillère Spéciale pour les questions de genre auprès du Secrétaire Général des Nations Unies, « The SCR 1325 fundamentally changed the image of women from being exclusevly victims of war to being participants as peacemakers, peace-builders and negociators ».
L’Union Africaine s’est engagée à mettre en œuvre les principes de la résolution 1325 et à assurer « la pleine participation et représentation des femmes au processus de paix, y compris la prévention, la gestion et le règlement des conflits ». Mais en réalité, treize ans après l’adoption de la résolution 1325, l’Union Africaine n’a nommée qu’une seule femme au poste de Représentante Spéciale de l’Union dans la résolution d’un conflit. Cette situation met en exergue l’inexistence et l’absence de médiatrices dans les processus de paix de l’UA (I), alors même que plusieurs cas témoignent de la plus-value susceptible d’être apportée par les femmes dans les médiations en Afrique, comme cela a été le cas dans les négociations de paix tenues en 2003 à Arusha dans le conflit libérien (II).