Par Aprilia Morais | Etudiante en Master 2 de « Gestion de crise et intervention d’urgence »
Incidents du 14 octobre 2013, volonté hégémonique ou déstabilisation croisée ?
Lundi 14 octobre 2013, un groupe de soldats angolais présents dans la province du Cabinda franchit la frontière congolaise. Face à cette intrusion, le centre militaire de la région congolaise de Dolisie appelle rapidement des renforts. La cinquantaine de soldats congolaisprésents sur les lieux ne résiste pas aux cinq cent militaires angolais. Cinquante-cinq soldats congolais sont alors pris en otage et emmenés en Angola. Les militaires angolais vontalors continuer à se déployer dans les localités congolaises de Kimongo, Pangui, Iloupaga, Yanza et Ngandambindaà bord d’engins blindés.
Face à cet événement, le silence le plus completest imposé par les deux gouvernements. Le président congolais Sassou Nguesso opte pour une résolution inter-gouvernementale à huit-clos. Aucune information n’est diffusée sur l’incident. Les différentes opinions publiquestant congolaise que angolaise sont volontairement écartées.Le maintien du voyage présidentiel congolais le 17 octobre 2013 au Burkina Faso pour le vingtième anniversaire de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), illustretout à fait cette volonté de jouer la carte de l’apaisement.
Il faudra attendre trois jourspour que la presse locale et internationale s’empare de cet événement.
Le samedi 19 octobre 2013,les otages congolais sont finalement libérés. Aucune information concernant les conditions de leur libération ne sera divulguée. Les gouvernements angolais et congolais adoptent une attitude commune ; tous deux minimisent cet incident et entretiennent le flou sur cet épisode.
Les récits de cet événement sont multiples et discordants. Aucun des deux gouvernements n’a souhaité apporter une clarification. Pour quelles raisons des soldats angolais ont-ils franchi la frontière d’un pays allié ? Seule une analyse des enjeux et des acteurs impliqués dans cet incident est susceptible d’apporter une once d’explication. Nombre d’enjeux semblent se jouer dans cette zone frontalière d’Afrique centrale, rendant les relations compliquées entre les protagonistes.
Cet incident s’inscrit dans un contexte relationnel particulier qui nécessite d’être étudié. Cependant pour appréhender au mieux les faits qui se sont déroulés, nous analyserons également les récents facteurs de tensions entre l’Angola et la République du Congo.
Contextualisationd’une géopolitique mouvante
Le Cabinda est une province de l’Angola séparée du reste du pays par la République Démocratique du Congo (RDC). Elle constitue une enclave portuaire limitrophe à la RDC et à la République du Congo. Or la frontière entre le Cabinda et la République du Congo a tenu un rôle important dans l’histoire politique de l’Angola, notamment à l’occasion de son indépendance.
En effet, le pouvoir congolais a soutenu l’Angola de AgostinhoNeto dans les années 1970. A cette époque, José Eduardo Dos Santos, président actuel de l’Angoladirigeait l’antenne du MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola),basée au sein du territoire congolais. Ce mouvement a pu s’organiser et se renforcer grâce au caractère poreux de la frontière séparant le Cabinda de la République du Congo. Le MPLA a ainsi participé activement à la libération de l’Angola contre l’emprise portugaise.
Réciproquement, le retour au pouvoir du président SassouNguesso a été fortement soutenu en 1997par le gouvernement angolais actuel.Le 11 octobre 1997, l’aviation angolaise a bombardé le palais présidentiel de Lissouba, alors président congolais et concurrent de SassouNguesso. L’Angola a donc participé à la destitution du président congolais Lissouba au profil du retour au pouvoir de SassouNguesso.
Il existe à présentunecertaine proximité entre le président angolais et le président congolais. Néanmoins, cette relation semble plus complexe qu’elle n’y parait. Durant les années 1990, en République du Congo Lissouba et SassouNguesso se disputent le pouvoir. Du côté de l’Angola, une guerre civile fait rage depuis 1975 entre le MPLA et l’UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola). L’UNITA est dirigé par Savimbi et soutenu par Lissouba, tandis que le MPLA dirigé à partir de 1992 par José Eduardo Dos Santos est soutenu par SassouNguesso. Cette alliance qui se met en place entre José Eduardo Dos Santos et SassouNguesso s’inscrit donc dans des contextes de remise en cause de leur pouvoir respectif. Bien qu’on puisse souligner une certaine proximité entre ces deux personnalités politiques à certains moments, on ne peut pas parler d’une alliance immuable.
Par ailleurs, les liens entre le Cabinda et la République du Congo sont depuis longtemps imbriqués. Des liens étroits existent entre les populations des deux côtés de la frontière, dans certains cas il y a même des liens familiaux. Ainsi fort de ces relations, le Front pour la Libération de l’Enclave de Cabinda (FLEC) a puvoir le jour en 1974 sur le sol congolais. Depuis, le FLEC est l’acteur central de la lutte pour l’indépendance du Cabinda et ses membres circulent toujours entre le Cabinda et la République du Congo.
On peut donc noter que jusqu’à présent les facilités de franchissement entre la frontière de la province du Cabinda et la République du Congo ne semblaient pasposer de problème majeuraux gouvernements des deux Etats.
Alors comment expliquer l’incident du 14 octobre 2013 ?
Une gestion frontalière poreuse ?
Durant les mois précédents l’incident,les relations entre le gouvernement angolais et congolaisont commencé à se tendre. Selon RFI, le gouvernement angolais aurait envoyéau ministère congolais des rapports sur les activités des rebelles indépendantistes cabindais. Ces rapports dénoncent la présence de rebelles de l’autre côté de la frontière, tout particulièrement dans les régions congolaises de Niari et Kouilou. La République du Congo constituerait ainsi un refuge de premier choix pour les rebelles du FLEC au grand dam du gouvernement angolais. Le gouvernement congolais n’a pas souhaité s’exprimer concernant ces rapportsni auprès des médias, ni auprès du gouvernement angolais.
La province du Cabinda constitue une enclave précieuse aux yeux de l’Angola tant en terme géostratégique que vis-à-vis de ses abondantes ressources pétrolières. Le gouvernement angolais veille en permanence à conserver sa souveraineté sur ce territoire. Cette province se caractérise par une forte présence militaire angolaise. L’Opinion rappelle dans son article du 17 octobre 2013 qu’il y a près d’un soldat pour dix civils dans le Cabinda. Ainsi, en tolérant la présence de membres du FLEC sur son territoire, la République du Congo menace l’emprise de l’Angola sur le Cabinda.
Les autorités angolaises accusent en outre leurs homologues congolais d’adopter une attitude passive face aux divers trafics transfrontaliers existants tels que le trafic de diamants et de drogue. Les drogues arriveraient au port de Pointe-Noire en République du Congo, puis se diffuseraient dans toute l’Afrique centrale en passant notamment par le Cabinda. Le gouvernement congolais troublerait l’ordre public du Cabindapar la gestion de cette frontière jugée laxiste.
Ce n’est pas la première fois que des soldats angolais franchissent les frontières cabindaises. Au début du mois de novembre 2012 des soldats angolais avaient mené une incursion dans la région de Tshela en RDC. L’Angola avait justifié cette intrusion par la poursuite de membres du FLEC. Des tirs d’armes lourdes avaient été échangés avec les autorités de la RDC. Tout comme pour les évènements d’octobre 2013, l’incident avait été étouffé et minimisé par les deux gouvernements à ce moment-là.
On peut rapprocher l’incident du 14 octobre 2013 en République du Congo, avec l’événement de novembre 2012 perpétué en RDC par l’Angola. L’incident d’octobre 2013 constituerait alors une mise en garde pour le gouvernement congolais à ses voisins. Si la République du Congo continue à laisser les membres du FLEC se réfugier au sein de son territoire, l’Angola n’hésitera pas à franchir ses frontières. On peut craindre que le franchissement des frontières nationales devienne une pratique courante pour les militaires angolais à chaque fois qu’ils pourchassent les membres du FLEC. Un recours systématique à une telle pratique représenterait une menace pour les relations pacifiques entre l’Angola et ses pays limitrophes. La systématisation d’un droit de poursuite représente un réel danger en Afrique Centrale, une zone où les hommes en armes rebus des armées défaits des conflits ne manquent point. Dans ce vaste espace ouvert chaque pays héberge un groupe armé hostile au voisin et le droit de poursuite représente une politique de déstabilisation croisée à prendre très au sérieux.
L’Angola est un pays allié de la République du Congo et de la RDC. En 2000, un accord de non-agression a été signé entre ces trois pays. La stratégie d’apaisement adoptée par lesparties a permis de respecter cet accord. On peut supposer que le dénouement de cet incident aurait été plus meurtrier, si la République du Congo avait adopté une attitude hostile envers l’Angola à cette occasion. Les relations diplomatiques de l’Afrique centrale auraient alors été bouleversées.
Ainsi, l’accord de 2000 de non-agression est de nos jours toujours respecté. Il semble néanmoins nécessaire que ces questions relatives aux frontières soient abordées et réglées par ces trois gouvernements. Minimiser les incidents et adopter une politique d’étouffement des informations, permet d’éviter à court terme d’exacerber les tensions entre deux populations limitrophes. Afin que tous ces événements soient définitivement résolus et ne se répètent pas, il semblerait que l’Angola, la République du Congo ainsi que la RDC n’aient d’autre choix que d’ouvrir un dialogue sur ces questions. Pour cela la transparence des gouvernements et le respect de la liberté d’expression de la presse sont indispensables.
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