Leadership, panafricanisme et enjeux de paix en Afrique centrale – Patrick Mbeko

Patrick Mbeko est un politologue canadien d’origine congolaise. Spécialiste de la région des Grands Lacs, il est l’auteur de «Le Canada dans les guerres en Afrique centrale» (2012), « Le Canada et le pouvoir Tutsi du Rwanda» (2014). Il est également le co-auteur, avec Honoré Ngbanda Nzambo, de « Stratégie du chaos et du mensonge : Poker menteur dans l’Afrique des Grands Lacs » (2014).

Dans cet entretien accordé à l’institut de recherche et d’enseignement sur la Paix, Thinking Africa, Patrick Mbeko expose les enjeux de cette guerre qui dure depuis près de 20 ans en République Démocratique du Congo, sans qu’une solution viable et durable ait été prise pour y mettre fin. Il nous apporte un éclairage sur les notions de paix et de justice dans le contexte géopolitique de l’Afrique des Grands Lacs. Enfin, Patrick Mbeko explique pourquoi il est impératif de renouveler le leadership dans cette sous-région.

Quelques verbatims extraits de l’entretien.

– Sur la crise dans la région des Grands Lacs africains

La crise dans les grands lacs n’est pas simplement une crise africaine. Il s’agit aussi d’un conflit entre grandes puissances occidentales. Dans la guerre du Congo de 1996, la question qu’il faut se poser est là suivante : Comment un pays comme le Rwanda, saigné à blanc tant sur le plan démographique que sur le plan économique, a pu, en un si court laps de temps, deux ans, envahir un pays de la taille du Congo ?
Cela n’a été possible que parce que derrière le Rwanda, il y avait des puissances qui avaient un agenda clair dans la région. Et cet agenda consistait à s’emparer des ressources du Zaïre (aujourd’hui RD Congo).

– Sur le silence autour de ce qui se passe au Congo

S’il n’y a pas de bruit [sur ce qui se passe au Congo] malgré les dizaines de rapports des Nations Unies publiés, c’est simplement parce que les véritables maîtres d’œuvre de ce qui s’y passe sont les grandes puissances qui influencent le conseil de sécurité des Nations Unies.
Et qui finance les ONG ? A qui appartiennent les grands groupes médias ? Dans les deux cas, ce sont les mêmes intérêts qui participent à la pérennisation des souffrances dans la région.

– Sur la nécessité d’un nouveau leadership en Afrique centrale

C’est l’irresponsabilité des chefs d’Etat africains qui fait que les peuples africains se haïssent. Il faut un nouveau leadership en Afrique centrale. C’est impératif parce qu’avec les sous-traitants que nous avons, les haines entre les peuples vont continuer. C’est aux populations africaines de prendre leurs responsabilités parce que si elles attendent que les puissances occidentales viennent décider à leurs places, ces puissances mettront des marionnettes qui serviront les intérêts occidentaux et non les intérêts africains.

– Sur la justice dans la région des Grands Lacs

S’il n’y a pas de justice réparatrice, la spirale de la violence va continuer. On a vu dans le cas du Rwanda, que le tribunal Pénal International pour le Rwanda avait aussi pour but de réconcilier les rwandais en rendant justice. Le problème est qu’il n’y a pas eu de justice. Et il y a par contre des frustrations. Et quand il n’y a pas de justice, il n’y a pas de paix.
Seul un leadership responsable travaillera à la mise en place d’un système de justice pour apaiser les cœurs et réconcilier les peuples.

– Sur le panafricanisme des cœurs et le Congo

On ne peut pas construire une véritable Afrique, unie et forte, quand un pilier, le Congo, de cette Afrique est fragilisé. Le panafricanisme que nous devons prôner aujourd’hui est le panafricanisme des cœurs : C’est à dire que les uns sont concernés par les problèmes des autres.
Il faut que les Etats africains se sentent concernés. Il y a des immixtions étrangères, oui. Mais, c’est aussi parce qu’il y a une irresponsabilité africaine. Les chefs d’Etat africains regardent le Congo sombrer. Les Africains, eux-mêmes, ne sont pas concernés par les problèmes du Congo.
Si on laisse chacun dans son coin, avec ses problèmes, il est certain que même si un pays stratégique comme le Congo recouvrait sa souveraineté et la paix, les congolais n’iront pas vers d’autres africains parce qu’ils se sont sentis abandonnés quand ils avaient des problèmes. Et cela va profiter aux tireurs de ficelle qui sont en dehors du continent.

PatrickMbeko