La condition noire et le devenir africain – Pap Ndiaye
Pap Ndiaye est un historien français et spécialiste de l’Amérique du Nord. Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), il est l’auteur, entre autres, de « La Condition noire » en 2008.
Dans cette interview accordée à Thinking Africa, Pap Ndiaye revient sur le contenu de son livre, « La Condition noire », expose les différences et les similitudes de l’expérience noire en France et aux Etats-Unis, aborde la question de la recherche et des études sur les noirs, et explique pourquoi le panafricanisme peut-être une solution quant au devenir africain.
Quelques verbatims extraits de l’interview.
Sur le rôle de l’intellectuel noir dans la société française
Les universitaires peuvent avoir un rôle civique dans la société française, pointer des formes d’inégalités, par exemple, qui sont, historiquement, peu reconnues par les sciences sociales de même que par le débat public. Pour ce qui me concerne, précisément, ce qui m’a intéressé depuis une quinzaine d’années, ce sont les logiques de racialisation de la société française par lesquels une partie de notre population se trouve pointée du doigt, se trouve stigmatisée et n’a pas accès de la même manière que d’autres à un certain nombre de biens rares. Etudier cela, voir quels sont les effets de ces formes de discriminations sur les personnes concernées, est une tâche scientifique, mais aussi une tâche politique. Le rôle de l’intellectuel noir, pour ce qui me concerne, est de s’intéresser à des questions qui sont, dans l’ensemble, peu traitées par le monde universitaire, et encore moi d’ailleurs, par le monde politique.
Sur le fait d’être noir
Etre noir, c’est d’abord être vu comme noir, indépendamment d’ailleurs de la subtilité des identités choisies. Il y a des personnes qui peuvent être considérées comme noirs et qui réfutent ce qualitatif , au motif qu’il ne correspond pas à leur identité, que noir, blanc, ce sont des vieilles qualifications du passé. Tout cela est parfaitement honorable. Ce sur quoi j’insiste, c’est simplement qu’on ne peut pas échapper à ce que j’appelle « la condition noire », c’est-à-dire, à cette expérience historiquement construite qui est qu’on est vu comme noir avec un certain nombre de représentations et de stéréotypes attachées à cette apparence là.
Sur l’universalité de la condition noire
Les dominés ne sont pas blancs en général. L’expérience de la domination, c’est aussi une expérience par laquelle, on est colorisés ou en tout cas, on est vu comme en dehors de l’universel blanc. C’est une expérience assez universelle. J’aimerai bien qu’on me cite une société de par le monde où le fait d’être foncé serait par exemple une garantie de position un peu supérieure dans la société en question ? Même en Afrique, les questions de gradations de couleur de peau peuvent avoir une certaine importance dans les élites politiques des différents pays.
Sur la logique minoritaire
Ce qui m’intéresse, c’est cerner une expérience minoritaire. Ce qui m’intéresse c’est le plus petit dénominateur commun. Une minorité est un groupe de personnes qui, quelques soient les différences qu’elles peuvent avoir les unes envers les autres, se caractérise par le fait d’être, en l’occurrence, considéré comme noir, avec un certain nombre d’expériences discriminantes et stigmatisantes… . La notion de minorité n’est pas une notion démographique.
Sur le manque d’intellectualisation, de recherche et de reconnaissance de la notion de race en France
Ne pas étudier, c’est ne pas reconnaître. Et ne pas reconnaître, ce n’est pas voir que la société française à une part africaine (diasporas incluses), une part noire, qui est très importante et qui grossit d’année en année. Réfléchir sur cette part là, valoriser les apports historiques de l’Afrique à la France, en même temps réfléchir sur les difficultés spécifiques que rencontrent ces personnes, c’est garantir, au fond, des liens, qui soient des liens profonds mais aussi renouvelés, que la France peut entretenir avec les pays africains. Cela passe par un intérêt beaucoup plus évident que nous devons avoir, collectivement, pour cette part noire de la société française.
Sur la question de la réparation
La réparation morale et symbolique, aussi importante qu’elle soit, n’est pas suffisante. Il y a aujourd’hui des formes d’inégalité, qui sont des formes d’inégalités héritées des situations coloniales et esclavagistes auxquelles il faut bien s’attaquer… Ce qui est réparable, c’est le présent. Ce sont les sociétés héritières du colonialisme et de l’esclavage, qui sont encore marquées par cet héritage, dans leurs structures sociales… La meilleure forme de réparation, c’est justement d’agir pour que dans les sociétés concernées, le legs de l’esclavage ou le legs de la colonisation soient compensées par des politiques redistributives.
Sur le panafricanisme
Revigorer le vieux rêve panafricain est une voie possible pour imaginer les conditions d’un développement de l’Afrique et réinventer des liens entre l’Afrique et les diasporas africaines au sens large. [Il ne s’agit] pas seulement des liens de tourisme, mais des liens plus forts qui fassent qu’il y ait comme sorte de fierté identitaire, et que la part africaine, qui est celle de millions de personnes en dehors de l’Afrique, soit une part valorisée parce qu’elle a beaucoup apporté à l’ensemble du monde d’un point de vue politique et culturel. C’est un grand projet intellectuel et politique à inventer pour les années à venir.