Par Guy Roger Voufo
RÉSUMÉ :
La présente réflexion étudie le phénomène de détention des populations camerounaises sous la colonisation française en se focalisant sur la prison d’Abong-Mbang de 1930 à 1960. Après la défaite de l’Allemagne pendant la première guerre mondiale, l’administration française entama ce qu’Albert Sarraut, Ministre des colonies appela la « mise en valeur » du territoire. Celle-ci s’opérationnalisa par la prise en main du territoire et la traque de toute trace de sympathie envers l’Allemagne. C’est dans ce contexte que pour assurer l’ordre et la sécurité et surtout pour une exploitation rationnelle du territoire par un emploi systématique de la main-d’œuvre pénale, elle transforma la plupart des édifices allemands en véritables centres de détention dans l’optique de mettre hors d’état de nuire tous les acteurs de l’indiscipline coloniale. Le fortin allemand d’Abong-Mbang construit entre 1911 et 1912 fut ainsi transformé en prison en 1930 pour la détention des dissidents à l’ordre colonial français. Cette prison coloniale a constitué une rupture sans précédent avec les formes de punitions allemandes basées en grande partie sur les châtiments corporels. Ce travail ambitionne de montrer que les objectifs originaux de l’incarcération dans ce pénitencier ont été dévoyés dans tous ses compartiments. La mise au pas des populations refusant l’ordre colonial a ainsi débouché sur des conditions précaires de détention dans cette prison dont la mission essentielle était de « redresser les rameaux tordus de l’arbre social » et de les réinsérer dans la société coloniale.
CONTEXTE :
Cette note de recherche s’effectue dans un contexte colonial marqué par une politique d’occupation effective du territoire camerounais par la France à la faveur du déclenchement de la première guerre mondiale en Europe qui se matérialise sur le terrain africain par la défaite et le départ des Allemands. Dans leur dynamique de contrôle et de quadrillage de l’espace colonial ainsi conquis, la France effectue une prise en main de sa portion territoriale issue du partage de 1916 et confirmé par la SDN (Société des Nations) en juillet 1922 par une transformation des anciens bâtiments de l’époque allemande en centres de détention des indigènes ayant commis des infractions. Le fortin allemand d’Abong-Mbang dans le cas d’espèce constitue une parfaite illustration, mais dans les faits, la prison coloniale d’Abong-Mbang essentiellement retributive, intimidante et dépersonnalisante s’est considérablement éloignée de la mission principale de l’incarcération axée sur l’amendement et la resocialisation pour prioriser la quête de la main d’œuvre pénale employée gratuitement pour l’exécution des travaux d’utilité publique.
IDÉES MAJEURES :
– La première guerre mondiale a mis fin au rêve allemand de continuer à exploiter le Cameroun ;
– Dès l’occupation du Cameroun, la France s’est tout de suite lancée à la traque sans exception de toute velléité germanophile au Cameroun ;
– La dégermanisation du Cameroun s’est poursuivie par une transformation des bâtiments de service allemands en centres pénitentiaires dont Abong-Mbang ;
– Devenu prison en 1930, l’ex- fortin allemand était administré d’abord selon les usages en vigueur à la prison de Douala avant l’application du texte du 8 juillet 1933 règlementant le régime pénitentiaire au Cameroun français ;
– La taxonomie des infractions codifiées et systématisées par l’administration coloniale française a permis d’incarcérer de nombreux individus à Abong-Mbang ;
– Toutes les catégories pénales furent représentées dans cette entité de réclusion, mais les détenus administratifs constituaient celle la plus incarcérée ;
– Les conditions de détention le plus souvent déplorables et les improvisations ayant prévalu soulèvent la problématique de l’échec cuisant de la fonction originelle de la détention à Abong-Mbang puisque la priorité était accordée à l’emploi systématique de la main d’œuvre pénale gratuite.
PROBLÉMATIQUE :
Conçue dans son esprit noble d’amendement et de réinsertion sociale des indigènes convaincus de violer la loi, la prison coloniale d’Abong-Mbang a-t-elle rempli sa fonction originelle ?