Imaginer un devenir-en-commun. Penser l’en-commun à travers quelques romans de Léonora Miano

Par Louis Nana

RÉSUMÉ:
Le contexte mondial est marqué par un paradoxe : à mesure que la configuration du monde en appelle à plus d’ouverture, on assiste, ici et là, à un repli identitaire et à l’exacerbation des identités nationales. Dans un tel contexte, la question de comment vivre-ensemble, ce que cela signifie, exige ou implique est cruciale. D’où la nécessité de penser le concept de l’en-commun, qui suscite davantage d’intérêt. Loin d’épuiser une telle question, cette note vise surtout à partager, et à soumettre à la discussion, une approche du concept de la Communauté dans la littérature, à partir du concept de l’en-commun, appréhendé ici comme principe au cœur de tout projet – ou pensée – de la Communauté. Il ne s’agit pas, ici, de faire une présentation générale de la discussion autour du concept, notamment dans le champ de la philosophie. L’interrogation qui nous intéresse est plutôt la suivante : comment penser l’en-commun à partir de la littérature — du roman, précisément ?

CONTEXTE:
Le contexte de cette note se situe à trois niveaux. Sur le plan mondial, il est marqué par un paradoxe : à mesure que les circulations s’intensifient, du fait des avancées technologiques notamment, on assiste à des replis identitaires, soutenus par la peur de se perdre, ou d’être « remplacé ». Pour l’exprimer autrement : dans un contexte de radicale ouverture du monde, surgit paradoxalement une logique d’enclos. Le plan académique, quant à lui, est marqué par un intérêt pour des théories autre qu’occidentales : ce que l’on appelle les théories du Sud global. Sur le plan spécifique de la scène intellectuelle africaine, cette note intervient alors que des appels sont lancés pour le renouvellement de la pensée à partir de l’Afrique. Ce renouvellement de la pensée concerne aussi bien la manière d’habiter le monde que la réintégration d’une catégorie temporelle comme le futur dans les réflexions sur notre monde, surtout sur l’Afrique.

PROBLÉMATIQUE:
Comment penser l’en-commun à partir de la littérature africaine contemporaine ? Quelles possibilités l’approche centrée sur le temps et le sujet offre-t-elle dans cette réflexion ?

IDEES MAJEURES :
– Le temps de l’enchevêtrement (Achille Mbembe) qui caractérise notre époque se traduit, dans l’Afrique postcoloniale, par un ensemble d’événements qu’il convient de désigner comme le temps de l’ombre.
– Le temps de l’ombre est représenté, dans les romans de Léonora Miano, par les métaphores de la nuit, de l’ombre et des ombres, du fantôme, de la forêt, etc., pour traduire la violence qui fait de l’Afrique contemporaine une Afrodystopie (Joseph Tonda).
– Évoluant dans un tel cadre, le sujet africain postcolonial est un sujet blessé. Il fait l’expérience de sa propre individualité et, par conséquent, de l’être-avec sous le prisme de la blessure. Ainsi, toute tentative de vivre en communauté, de préserver la communauté, ou d’en créer une nouvelle est marquée et hantée par cette blessure.
– Mais la blessure, elle-même, ne peut être saisie que si on la considère dans son rapport avec le temps. En effet, elle est, avant tout, le fruit des événements qui inaugurèrent le temps de l’enchevêtrement (l’esclavage, la Traite négrière) ; ensuite, elle persiste à cause du rapport coupable qu’une époque entretient avec celles qui sont passées — à travers notamment l’oubli.
– La lecture des romans suggère qu’il peut y avoir un au-delà de la blessure, et que le rêve d’un en-commun est possible sur le continent africain. Pour cela, il faut imaginer une utopie (une Afrotopie), comme celle du Katiopa unifié. Celle-ci, si elle n’apporte pas des réponses claires à toutes les questions que peut soulever la question de la communauté en Afrique, permet d’y réfléchir dans un contexte marqué non plus par la blessure, mais par la guérison, la restauration.

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