Par Mahougnon Sinsin
Est-elle vraiment révolue la période où la vulgate afro-pessimiste envisageait le destin du continent noir sous le mode de l’échec absolu ? Rien n’est moins sûr. L’imaginaire créé par cette vulgate persiste et continue de déterminer le regard du monde sur l’Afrique. Cependant, un nouvel imaginaire émerge ces dernières années. Il se déploie dans une rhétorique de l’euphorie et propage le « doux présage d’une prospérité à venir en temps de tempête ». Mais, comme l’afro-pessimisme, la nouvelle rhétorique s’inscrit dans le registre du manque, de l’absence : l’Afrique de la prospérité n’est pas encore, elle sera. Sa présence est donc « délocalisée » dans le futur. Cet optimisme béat d’un futur radieux n’est que le « double inversé » du catastrophisme de la rhétorique précédente.
Un autre trait caractérise les deux imaginaires : ils sont le fruit d’un regard extérieur. Le problème, c’est que l’intelligentsia africaine, dans sa grande majorité, s’accommode paresseusement de ces discours venus d’ailleurs, au lieu de concevoir ses propres cadres référentiels. Felwine Sarr, à la suite d’autres intellectuels engagés (V. Mudimbe, A. Mbembe, C. Diagne, K. Wiredu, etc.) se propose d’explorer les contours d’un projet de réinvention de l’imaginaire à travers la refondation de l’épistémè africaine. Comment construire un imaginaire qui ne soit pas une « douce rêverie », mais qui s’enracine dans le réel africain et dessine, au creux de ce réel, des possibles à « faire advenir par la pensée et l’action » ?
C’est la question à laquelle tente de répondre l’auteur. Nous nous intéressons ici aux aspects épistémiques de cette problématique. Nous indiquerons les perspectives que l’essayiste sénégalais propose pour la reconstruction de l’imaginaire épistémique, la réinvention des « épistémogonies » et la ré-articulation des métaphores du futur. Nous insisterons également sur le rôle déterminant qu’il accorde à l’éducation et à la recherche scientifique dans ce vaste projet de reconfiguration des paradigmes.