Opinion Libre de Pascal Kambale
TELECHARGER L’OPINION LIBRE EN PDFPascal Kambale est Conseiller principal au Bureau régional pour l’Afrique du réseau des fondations Open Society Foundations (OSF), basé à Dakar, au Sénégal. Juriste congolais, spécialiste en droit international, humanitaire et constitutionnel, il est également militant des droits de l’homme.
Une vision optimiste appréhende le continent africain en termes de progrès accomplis, en dépit des défis qui demeurent à relever. Ces progrès touchent de nombreux domaines, mais il convient d’en distinguer deux en particuliers, qui s’avèrent centraux.
1. Vers l’émergence d’investisseurs locaux
Le domaine des affaires tend à devenir une communauté d’affaire domestique, locale. Dans nombre de pays africains, les affaires et les investissements étaient auparavant l’apanage d’hommes et de femmes d’affaires venant de l’extérieur et en particulier, des métropoles et des anciennes puissances coloniales.
Cette situation demeura la règle jusque dans les années 1980 voire 1990 et perdure encore trop largement dans certains pays, mais dans d’autres, une évolution semble avoir été impulsée.
Une vague d’investisseurs provenant de pays émergents : l’Inde, sous la côte Est de l’Afrique par exemple, la Chine également (bien que pour le cas de la Chine il faille noter que ce ne sont pas des investisseurs privés, mais l’Etat Chinois) marque cette évolution.
De manière concomitante, se développe, dans les pays économiquement petits ou grands, l’émergence d’une classe d’affaires locale, une classe d’investisseurs domestiques qui ne demandent qu’à être encouragée.
Malheureusement, cette classe locale n’est pas suffisamment soutenue par l’Etat. Or, dans tous les pays économiquement plus avancés, notamment les Etats-Unis pourtant le bastion du libéralisme, l’Etat non seulement encourage l’investisseur privé, mais prend des mesures positives, telles que des subventions massives, pour encourager l’industrie locale et la protéger de la concurrence étrangère.
Un effort minime de la part des gouvernements des Etats d’Afrique en faveur des investisseurs privés nationaux ou régionaux (par exemple dans le cadre des institutions régionales comme la CEDEAO ou le SADC), permettrait de soutenir le développement économique local.
2. Le sursaut des intellectuels africains
Il convient en second lieu de se pencher sur le domaine intellectuel. Les universités africaines et centres de recherche étaient autrefois peuplés et animés par des universitaires de la métropole et des anciennes puissances coloniales. Aujourd’hui, ces mêmes établissements et lieux du savoir sont de plus en plus animés par des universitaires locaux. Un corps émergeant d’universitaires, de chercheurs locaux investit la recherche et la transmission des connaissances. L’organisation par la CEDEAO de la Foire Internationale de l’Agriculture et des Ressources Animales (FIARA), du 26 mars au 12 avril 2015 à Dakar a rassemblé chercheurs et inventeurs en matière agricole qui venaient de pays de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Il en est de même lors du 6ème Salon International des Energies Renouvelables et de l’Environnement en Afrique, organisé par la même CEDEAO du 23 au 26 avril 2015 à Dakar – Sénégal.
La dépendance des économies africaines vis-à-vis des institutions financières et de développement bi- et multilatérales est bien documentée. Leur dépendance vis-à-vis des idées et concepts de développement l’est moins alors qu’elle produit des effets beaucoup plus nocifs.
Pascal KambaleLe défi demeure quant à faire connaitre et encourager ces initiatives. Les chercheurs et intellectuels du continent doivent encore trop souvent recourir aux réseaux basés dans la métropole pour publier leurs recherches. Des structures de coopération inter universitaires intellectuellement ou financièrement dominées par l’ancienne métropole exercent une influence plus ou moins directe sur la reconnaissance et la notoriété des chercheurs africains. C’est particulièrement le cas du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES) pour l’Afrique francophone.
3. Relever les défis du continent
Ainsi, recentrer et encourager les investisseurs et les intellectuels du continent représentent les deux axes de développement qui méritent d’être le plus soutenus par les gouvernements des Etats Africains.Ces deux défis majeurs structurent le progrès du continent et peuvent se mettre en place aisément.
Consentir à cet effort propulserait les chercheurs et les inventeurs locaux et constituerait un réel bond en avant dans la construction d’une Afrique forte.
Cette idée amène à penser la relation entre les intellectuels et les hommes politiques. Certains diront qu’historiquement, le parti unique avait absorbé les intellectuels pour en faire des intellectuels organiques. Aujourd’hui, il n’y a plus d’intellectuel organique, mais dans certains pays les élites politiques continuent encore à percevoir les universitaires comme des ennemis. Ce climat d’hostilité entre l’élite politique et le milieu intellectuel tend néanmoins – et fort heureusement – à s’estomper dans de plus en plus de pays.
Le plus grand défi des intellectuels dans ces pays concerne donc de moins en moins, l’hostilité du politique, mais de plus en plus la distanciation et l’indifférence des politiques à leur égard.
S’exclure de la production des idées revient à laisser les autres imposer les leurs, et donc imposer leur modèle de développement, peu importe qu’il soit inadapté aux spécificités locales.
Pascal KambaleEn effet, les gouvernements Africains ont à gérer une multitude de priorités, parmi lesquelles la recherche et la production du savoir ne trouvent pas toujours leur compte. Ceci est une source majeure de préoccupation. Il n’y a pas de développement endogène possible sans l’intégration de la recherche et de la production du savoir aux priorités gouvernementales.
4. Contre la tyrannie intellectuelle : l’autoproduction d’idées
La dépendance des économies africaines vis-à-vis des institutions financières et de développement bi- et multilatérales est bien documentée. Leur dépendance vis-à-vis des idées et concepts de développement l’est moins alors qu’elle produit des effets beaucoup plus nocifs. Des concepts tels que « doing business », « résilience », « stratégie de croissance », etc. sont produits à intervalle régulier par des boites à idées (« think tanks ») étrangères et sont censées contenir des formules par lesquelles le progrès est mesuré, évalué ou attesté. Ces formules et concepts servent ensuite de socle intellectuel sur lequel les Etats développent la planification dans les secteurs économiques (« Plan Sénégal Emergent », « Ghana 2020 », « Cote d’Ivoire 2040 », etc.). Ils constituent ainsi une justification idéologique aux politiques publiques.
Or, l’Afrique doit être en mesure de produire ses propres idées ou, à tout le moins, participer au mouvement mondial de production des idées. Cette tâche s’avère de première importance.Derrière des concepts et des idées se cachent idéologies et conceptions de développement. La crise financière en Grèce montre que l’opposition entre « austérité » et « croissance » est bien plus qu’une simple querelle conceptuelle entre universitaires. Elle traduit un choc de politiques publiques proposant des stratégies économiques et sociales diamétralement opposées. S’exclure de la production des idées revient à laisser les autres imposer les leurs, et donc imposer leur modèle de développement, peu importe qu’il soit inadapté aux spécificités locales.
Recentrer et encourager les investisseurs et les intellectuels du continent représentent les deux axes de développement qui méritent d’être le plus soutenus par les gouvernements des Etats Africains.Ces deux défis majeurs structurent le progrès du continent et peuvent se mettre en place aisément.
Pascal KambaleIl existe toute une industrie de production de concepts, de production d’idées et cette industrie est située en dehors de l’Afrique. La production de nouveaux concepts, néanmoins, ne constitue bien souvent qu’un processus de recyclage de vieilles idées. Ainsi, les prescriptions invitant à l’austérité budgétaire (ou orthodoxie budgétaire) ne sont en réalité qu’une réincarnation des « plans d’ajustement structurel » des années 1980.
La meilleure façon de repousser et de résister à cette tyrannie des idées, consiste en la production d’idées propres aux locaux. Les Africains possèdent les capacités. Les think tanks, les centres de recherche, les intellectuels, les universitaires du continent doivent se rapprocher de leur gouvernement, afin d’être en mesure de produire également des concepts qui répondent mieux aux défis propres à leurs sociétés.
Il me semble que Thinking Africa participe de cet élan multiplicateur tout en assurant une liaison entre université, recherche, penseurs, monde social et toute la société de manière globale. Thinking Africa déclenche un mouvement qui petit à petit va prendre de l’ampleur et va forcer les gouvernements à regarder avec une plus grande bienveillance les milieux universitaires et les chercheurs du continent Africain.
Merci pour ce bel exposé … cela nous fait prendre de plus en plus conscience de nos capacités … mais aussi et surtout des voies et moyens pour accéder au développement de notre continent .