Par Saïd Abass Ahamed | Docteur en Science Politique
En septembre 2014, Thinking Africa été invité à Lomé pour animer un dialogue politique dans le cadre du long processus de réconciliation nationale. Quatre experts de TA, Hassatou Balde, Félicité Jessica Ranohefy, Mame Khady Diouf et Saïd Abass Ahamed ont facilité cette rencontre de 5 jours. A l’occasion de ce séminaire nous avons fait la rencontre de Mme Épiphanie Houmey Eklu-Koevanu, juriste, coordonnatrice du Centre de recherche, d’Information et de Formation pour la Femme créé par le Groupe de réflexion et d’action Femme, Démocratie et Développement (GF2D). Mme Épiphanie Houmey Eklu-Koevanu, anime et organise des nombreuses formations sur les questions du genre et la participation des femmes en politique. Elle revient dans cet entretien sur des nombreuses questions névralgiques pour le continent.
Quels sont les objectifs du centre de formation?
Le centre de formation est un centre de formation et de recherche pour la femme, l’organe d’exécution de stratégie et de programme de GF2D. Ce qui m’amène à rattacher les objectifs du centre à ceux de l’organisation. Cette organisation est née en pleine mouvance démocratique dans les années 1990 et s’est donnée pour objectif, premièrement d’amener les femmes à prendre conscience de leurs droits, à les connaître, mais également les accompagner, les former de sorte qu’elles puissent émerger dans les instances de prise de décisions. De façon générale, il s’agit pour notre organisation d’oeuvrer à ce que les hommes et les femmes puissent collaborer, travailler ensemble pour la construction de la cité et pour le bien-être des citoyens et citoyennes.
Le Centre de Formation pour les femmes a été créé à par la conférence nationale dans les années 1990?
Exactement, lorsque l’ère démocratique a été lancée, les femmes qui ont créé cette institution se sont dites qu’il faudrait donner une place de choix à la femme togolaise dans la nouvelle société démocratique. Cet ainsi que les femmes sont venues de divers horizons professionnels à savoir : juriste, expert-comptable, agronome, médecin et se sont mises ensemble pour réfléchir et sortir un manifeste. Ce manifeste comporte la vision de l’organisation, la vision d’un Togo où hommes et femmes travaillent en partenariat, la vision d’une Afrique où les femmes ont émergé dans les instances de décisions pour faire entendre leurs voix quant au développement du continent.
Quel bilan tirez-vous de votre action? Est-il encore difficile d’intervenir?
Nous constatons des améliorations, mais nous sommes encore loin de nos attentes, ce qui veut dire que nous avons encore un long chemin à parcourir. Lorsque nous regardons un peu les statistiques en matière de participation des femmes, il est vrai que grâce au GF2D nous avons changé beaucoup de choses. Le GF2D a participé au processus d’accord politique global, donc avec notre organisation nous avons amené les femmes à la table de négociation. Les discussions concernant la vie de la nation ne se limitent pas seulement aux acteurs politiques qui sont essentiellement des hommes.
Le GF2D a, avec le Réseau des femmes anciens ministres et parlementaires, participé dans ce processus de dialogue politique qui a permis la reprise de la coopération après cette longue crise que le Togo a subie.
En termes de connaissance de droit quels sont les articles aujourd’hui?
Je pense que les femmes sont davantage informées de leurs droits : droit politique, droit socio-économique, ce qui fait que plus de femmes s’intéressent à la chose publique et à travers les conventions internationales notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes de violence à l’égard de la femme, le protocole à la charte africaine relatif aux droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme ou appelé simplement le protocole de Maputo. A travers ces instruments internationaux, le gouvernement togolais s’est engagé à améliorer le cadre de participation. Nous pensons, disons que c’est le plaidoyer que font les organisations des femmes en Afrique notamment notre organisation qui a participé efficacement au processus d’adoption du protocole de Maputo.
Aujourd’hui nous avons une femme à la cour constitutionnelle: C’est grâce à nos plaidoyers. Nous formons des femmes candidates aux élections. Ces femmes sont formées et accompagnées mais cela reste insuffisant pour obtenir une participation équitable à toutes les instances de décision. C’est pour cette raison que nous continuons notre plaidoyer pour que le cadre juridique soit plus favorable. Le Président de la République a lancé le processus de parité, cela a entraîné l’adoption d’un texte mais malheureusement sans effet contraignant.
En termes de chiffres, depuis que vous avez créé l’organisation, est-ce que vous avez une idée du nombre de femmes que vous avez formées?
L’organisation a formé depuis 1994 six cent para-juristes. Il s’agit d’hommes et de femmes, qui ne sont pas issus du milieu juridique, mais formés de façon pratique sur les notions de droit, plus particulièrement les droits des femmes. Ils reçoivent pour mission d’ informer les communautés sur l’état de ce droit et la nécessité d’établir des relations équilibrées au sein de la famille, dans les associations. Ces para-juristes interviennent également dans des structures d’écoute d’assistance aux personnes surtout les femmes victimes de violence. En terme de formation, nous avons un programme d’éducation civique qui forme de façon périodique et suivant les circonstances. Nous avons formé des jeunes para-juristes qui sont des pairs éducateurs pour d’autres jeunes. En dehors de ces deux programmes, service juridique et éducation civique, nous avons également un programme socio-économique qui forme des femmes commerçantes, et dans lequel des actions de promotion de la santé maternelle et infantile sont réalisées. De 2012 à 2013, nous avons formé cent cinquante femmes commerçantes sur les droits économiques- socio- culturels mais beaucoup plus spécifiquement sur les textes de la CEDEAO relatif à la libre circulation des personnes, le droit de résidence et le droit d’établissement. Ces femmes sont également formées à la gestion, au management, au marketing et au leadership. Nous les avons formées comme des formateurs qui ont la charge d’aller former d’autres femmes dans leurs groupements, dans leurs associations, dans leurs coopératives.
Comment les hommes politiques perçoivent votre mission et vos actions?
Cette question me fait sourire un peu parce qu’elle me rappelle les difficultés que notre organisation a eu au début. Au départ, cette organisation était vue comme étant un soutien à l’opposition et du coup c’était très difficile d’organiser nos activités. De par le travail de neutralité que nous avons fait, tout doucement l’autorité a pris conscience de la pertinence de nos actions et cela a commencé à changer les mentalités. Ceux qui, au départ, nous voyaient comme des soutiens à l’opposition, ont compris que ce n’était pas le cas et que notre seule cause était celle des femmes et par ricochet la société en général.
Comment les femmes réagissent-elles par rapport à vos activités?
J’avoue qu’il y a des femmes qui aujourd’hui ne sont pas convaincues de la cause que nous défendons et cela s’explique aisément du fait du poids de la culture et des traditions. La femme togolaise traditionnellement est éduquée pour bien s’occuper de son mari, de sa maison, entretenir les enfants. Le mari a tout pouvoir de décision et décide du nombre d’enfants à avoir, il a le droit de s’impliquer en politique. La plupart des femmes vivent comme cela, aujourd’hui nous faisons ce travail de changement des mentalités, donc ce n’est pas facile. Les femmes sont les premières à critiquer leurs sœurs femmes qui osent s’engager en politique. Notre travail, ce n’est pas seulement à l’endroit des hommes mais également à l’endroit des femmes. Nous avons plus à faire avec les femmes parce que si les femmes ont changé et qu’elles parlent avec leurs maris, ils vont aussi changer. Quand les femmes, elles-mêmes ne sont pas convaincues, n’admettent pas par exemple que leurs fils puissent aider leur femme dans leur foyer, et bien on ne peut que perpétuer les discriminations.
Vous avez parlé d’exemples dans l’arrière-pays où les hommes sont prêt à adopter le changement, mais on a l’impression que dans les grandes villes, les intellectuels sont plus résistants que les paysans.
Tout à fait, d’ailleurs quand j’analyse un peu les cas des violences que nous avons, je peux dire que les hommes intellectuels sont plus violents vis à vis de leurs femmes. Une femme intellectuelle ne se laisse pas faire, elle est éduquée, éclairée, elle veut donner son avis sur toutes les questions concernant la famille. Si l’homme n’est pas dans cette logique-là, c’est difficile. Je suis en train de traiter un cas de violence par un médecin qui laisse sa femme dormir sur la terrasse, quelqu’un qui a prêté serment de protéger la vie. Cela montre que beaucoup des facteurs bloquent toujours le mieux-être de la femme. Le travail de changement des deux mentalités est fondamental, si elles ne sont pas changées, aussi bien chez les femmes que les hommes, nous ne nous approcherons jamais de la justice sociale.
Quelle est votre relation avec l’autorité nationale, est ce qu’on vous trouble toujours ou est ce qu’on vous laisse travailler en paix?
Comme je le disais, avec le temps les autorités ont constaté nos réalisations concrètes, et ont fini par se les approprier. Je prends l’exemple des paras juristes, aujourd’hui le ministère de la promotion de la femme utilise nos parajuristes et duplique nos bonnes pratiques en matière de gestion des centres d’écoute. Et le GF2D est la première organisation à initier l’installation des centres d’écoute. Aujourd’hui, le ministère a compris son importance et crée aussi des centres d’écoute. Le gouvernement n’organise pas d’activité sans nous inviter, les différents dialogues qui ont eu lieu récemment avant les élections, notre organisation y a participé. Donc c’est pour vous dire que finalement les autorités politiques ont compris que cette organisation n’a qu’un seul objectif le mieux-être de la femme togolaise.
La dernière question porte sur l’Afrique de l’ouest. Est-ce que vous avez senti une progression sur le continent par rapport à la place qu’on réserve à nos femmes, à nos sœurs et nos petites filles?
Je pense que dans beaucoup des pays africains, les femmes se battent et il y a des hommes qui ont compris l’enjeu et qui s’engagent pour la participation des femmes. Je vous donne l’exemple du président Abdoulaye Wade qui a initié et conduit avec beaucoup de sagesse le processus de parité au Sénégal. Il a échoué dans un premier temps mais, les femmes ont continué le combat et il les a soutenues jusqu’à ce que en 2010 la parité soit mise en place. Le président Macky Sall est allé dans la même logique, il a continué le processus lors des dernières législatives. La loi a permis de relever le niveau de participation des femmes au sein de l’assemblé nationale sénégalaise. Je pense qu’il faut des hommes convaincus de nos jours pour appuyer le processus, lorsqu’il y a l’engagement politique au plus haut sommet de l’état le processus évolue bien… Aujourd’hui la forte participation des femmes dans la société sénégalaise, est une progression, au sein de la jeune génération, la jeune fille sait que le cadre est là, et qu’elle doit se battre et bien se former pour être au sommet. Lorsque nous allons un peu plus loin de chez nous en Afrique, toujours, au Rwanda, les femmes rwandaise se sont battues. Les gens disent que c’est parce que le génocide a tué un grand nombre d’hommes et que les femmes n’ont eu d’autre choix que de prendre leurs responsabilités mais si elles n’avaient pas pris cette responsabilité elles seraient en marge de la construction de leur pays. Au Ghana aussi les femmes se sont mobilisées et elles participent efficacement aux élections locales et à tous les niveaux. Donc, je pense qu’au niveau de l’union africaine se battre pour avoir des textes favorables à la participation des femmes n’est pas vain. Il y a la déclaration solennelle des chefs d’états, qui oblige de prendre en considération la participation équitable des femmes au niveau des commissions. Nos Chefs d’Etat doivent pouvoir lier l’acte à la parole en adoptant des mesures efficaces pour accélérer l’instauration de l’égalité hommes et femmes.