Mali, six semaines après l’intervention française : incertitude et quête d’avenir

Par Salif Mandela Djiré| Docteur en anthropologie, Université Saint-Denis Paris VIII

 

 

« Que les chèvres se battent entre elles dans l’enclos est préférable à l’intervention de la hyène». Proverbe Bamanan.

Six semaines après le lancement de l’opération Serval, le Mali présente la configuration suivante : le Nord Mali a été quasiment libéré de l’emprise djihadiste, sans que la situation soit pour autant définitivement stabilisée, ni la souveraineté malienne restaurée, ni la guérilla terrassée.

Les coups de force des djihadistes contre Gao, le 10 février, soit un mois jour pour jour après le déclenchement de l’opération Serval, de même que l’attaque du Palais de Justice de Tombouctou, deux semaines plus tard, constituent des démonstrations de leur présence et la manifestation concrète que leur repli ne constitue pas une défaite définitive. La guerre des sables s’annonce longue et aléatoire pour les deux camps.

La France, contradictions et rhétorique d’une puissance guerrière

La France joue son rang dans le monde et le Mali son existence dans cette expédition.

La France se retrouve de plein fouet sur la ligne de front, en confrontation directe avec ses frères d’armes de Libye et de Syrie, qu’elle cherche à terrasser. Qu’il est douloureux le venin inoculé par la morsure d’un serpent nourri en son sein. Un échec de la France poserait la question de la légitimité de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies doté d’un droit de véto.

L’opération Serval a exonéré la France de son passif post-colonial vis-à-vis du Mali et rendu caduc le discours sur les visées post-coloniales de la France en Afrique, quand bien même l’intervention française dans le septentrion malien visait tout autant à protéger les gisements d’uranium du Niger voisin.

Fragilisée par sa faiblesse économique et le nombre d’otages français retenus dans divers pays africains, la France cherche à placer son intervention sous l’égide des Nations unies, de manière à bénéficier du financement onusien et à faire profil bas pour amortir la violence du ressentiment anti-français dans la frange radicale de l’Islam (Cheikh Youssef Qaradawi, au Qatar, et Joubhat an Nosra (Syrie) ont condamné l’intervention française alors qu’elle a été réprouvée par le Qatar, pourtant partenaire de choix  de la France dans les guerres du Monde arabe (Libye, Syrie).)

Sur le plan de l’argumentation juridique, la France a plaidé la « légitime défense» pour justifier son intervention précipitée. Elle plaidera le maintien de la paix pour justifier son passage sous drapeau onusien.

Quinze otages français sont retenus en Afrique, soit le plus fort contingent d’otages au monde, qui plus est sur le même continent, dont huit retenus par Aqmi et sept autres par Boko Haram (1).

L’Algérie : un acteur central ambigu en manque d’imagination

Limitrophe des sept pays bordant le désert du Sahara, l’Algérie occupe une position centrale et entend bien se maintenir au centre du jeu. Seul pays de la zone à avoir mené une guerre de libération victorieuse contre le pouvoir colonial français, puis une guerre contre le terrorisme, l’Algérie est le moins dépendant des pays arabes et africains sur le plan international. Elle se veut le pivot de toute action militaire sur son flanc sud. L’Algérie peut-être au Mali ce que le Pakistan reste pour l’Afghanistan.

Le Tchad, ou comment se racheter une légitimité internationale à bon compte

Idriss Deby opère un rétablissement en termes d’image en s’associant à cette opération, mais au prix d’un lourd tribut. Treize soldats tchadiens et soixante-cinq djihadistes ont été tués le 22 Février 2013 dans les combats entre l’armée tchadienne et les islamistes dans le secteur de l’Adrar des Ifoghas, massif montagneux du Nord-Mali, situé près de la frontière avec l’Algérie qui constitue la  zone de reflux des maquisards djihadistes. Réédition des combats qui ont opposé le Tchad et la Libye, dans la décennie 1980 entre le colonel Kadhafi et Hissène Habré, les combats de l’Adrar se déroulent à front renversé. Les djihadistes se retrouvent désormais le dos au mur, sans possibilité de fuite, mais il est connu que l’on ne se bat jamais mieux que lorsqu’on est dos au mur.

Le Mali, une nation affaiblie

Quoiqu’il fasse, quoiqu’il dise, le Mali a hypothéqué son indépendance pour un avenir plus ou moins visible en ce que tous ses projets de réforme devront bénéficier du visa préalable de son libérateur – Mmême si celui-ci sait se montrer discret.

Le capitaine Ahmadou Sanogo est l’un des grands perdants de cette épreuve en ce que son coup d’état de mars 2012 promettait la régénérescence du pays et sa dynamisation en vue de la libération de la totalité du territoire.

Il a été mutique au moment de Serval, n’apportant aucune contribution personnelle à la libération de son pays. La présence d’une force interafricaine va réduire encore sa marge de manœuvre. La junte militaire est désormais menacée par le déploiement des soldats de la Cedeao à Bamako au point que des politologues n’excluent pas l’hypothèse d’un double coup d’État occidental : contre les groupes armés du Nord-Mali et contre les putschistes du capitaine Sanogo, en vue de remettre d’aplomb l’armée malienne. Pendant toute cette période, les dirigeants démocratiquement élus, coupés de leur base électorale, étaient occupés à plein temps par toutes sortes de stratégie de captation de « l’aide au développement » et les opportunités d’affaires autorisées par le système néolibéral.

Le multipartisme a débouché sur la cacophonie : 140 partis dans un pays de 14 millions d’habitants. Pour la plupart des partis fantômes, sans programme, des parlementaires élus impotents, une corruption généralisée. Des analystes, à l’esprit pas toujours libéré des préjugés racistes, s’empressent donc de conclure que ce peuple (comme les peuples africains en général) ne serait pas mûr pour la démocratie !

Ce sont ces politiques qui portent la responsabilité majeure dans le discrédit de la démocratie. Cette involution a créé, ici comme ailleurs, un terrain favorable à la montée de l’influence de l’Islam politique réactionnaire (financé par le Golfe) non seulement dans le Nord capturé par l’AQMI mais, également, à Bamako. À cela s’ajoute le culte de la facilité et de la médiocrité, les recrutements dans l’armée fonctionnant depuis plus de 20 ans sur la base du piston, ainsi quele système éducatif délabré : recrutement d’enseignants davantage mûs par le gain que par la passion d’enseigner, les modes d’évaluation conduisant à la médiocrité, la non promotion du mérite, les formations non adaptées aux besoins économiques actuels du pays.

Préconisations

Bâtir un « nouvel Homme malien »

  • Réintroduire le service militaire obligatoire et l’étendre à tout jeune de 18 ans révolu, quelque soit son niveau de formation.

  • Réintroduire l’instruction civique, la levée du drapeau et l’hymne national tous les matins

  • Réintroduire les activités d’émulation comme les foires entre les établissements scolaires d’une même région, de même que les compétitions sportives.

  • Mettre un terme à l’impunité. Rendre la justice d’une manière irréprochable, et appliquer les sanctions sans faiblesse ;

  • Faire de la sagesse africaine une source d’inspiration

Une vieille chanson de Ségou nous enseigne qu’être chef c’est accepter de se faire la place publique que tout le monde foule aux pieds, de se faire le grand arbre sur lequel tous les oiseaux se reposent, de se faire le grand fleuve ou tout un chacun fait sa lessive, … de se faire même le dépotoir où tout le monde jette ses ordures

Par fidélité à notre histoire millénaire, constituée de l’héritage des empires africains (Ghana, Mali), prenons exemple de nos ancêtres où le chef animiste tolérait l’existence d‘autres cultes. La capitale de l’Empire du Ghana, Koumby Salé, abritait douze mosquées alors que les princes eux-même conservaient leur religion traditionnelle avec la vénération de Wagadou Bida, serpent mythique, génie protecteur de l’empire. Sonny Aliber ou Sonny le Grand Empereur de Gao était animiste alors que sa Cour s’était convertie à l’Islam.

Gouverner un pays et diriger un peuple, c’est savoir s’asseoir sur un tabouret de calebasse et non sur un confortable fauteuil pivotant. La fibre de coton bien que souple et molle ne saurait être absorbée. Le chef qui se fait aussi souple que la fibre de coton surmontera les adversités. Toutefois souplesse n’est pas synonyme de laxisme, ni d’absence de responsabilité.

Un objet dur qui ne peut être ni ramolli par l’eau, ni par le feu, finira par être écrasé.

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