Economiste et sociologue de formation, Martial Ze Belinga est un auteur, éditorialiste pour la revue Présence Africaine et chercheur indépendant en sciences sociales.
Il est actuellement membre du comité scientifique de l’UNESCO pour l’Histoire Générale de l’Afrique. Son champ d’expertise couvre l’économie de la culture, les questions de décolonialité et l’histoire générale de l’Afrique.
Il est le co-auteur de l’ouvrage intitulé « Sortir de la servitude monétaire. A qui profite le franc CFA ? », publié en 2016, qui a permis d’enrichir le débat sur la question monétaire en Afrique francophone ainsi qu’en France.
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Quelles sont les caractéristiques de la dette des Etats africains ? Comment expliquer le surendettement de certains Etats ? Quelle relation entre la dette et le Covid-19 ? Les Etats africains peuvent-ils se déclarer en état de cessation de paiement ? Peuvent-ils s’émanciper de « l’aide internationale » ?
Dans cet entretien, Martial Ze Belinga aborde la question de la dette des Etats africains, à nouveau, au centre du débat politique international dans le contexte de la crise sanitaire actuelle.
L’économiste revient sur la dimension historique de la dette des Etats africains afin d’analyser son évolution tout en évoquant l’importance de repenser notre modèle d’endettement qui nuit au développement et à la prospérité économique de nos Etats.
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Quelques extraits
Sur l’origine de la Dette.
« Dans le cas de la RDC, c’est la dette prise par l’administration colongiale qui va être leguée à l’État indépendant. De manière générale, dans l’histoire de l’endettement des pays africains, il y a une part qui revient directement à la part coloniale. Entre les années 1960 et les années 1980, c’était la logique développmentaliste qui a créé la dette. A cela, il faut aussi croiser la logique géopolitique : Un certain nombre de financements des institutions internationales cherchait à faire des Etats africains des Etats clients (pour ne pas devenir des Etats communistes par exemple). »
Sur le concept d’émergence:
« Le concept d’émergence veut simplement dire qu’on a retrouvé dans des pays, qui ne sont pas des pays occidentaux, la rentabilité suffisante pour que le capital occidental s’y place avec des retours importants. Développé en 1982, le concept d’émergence ne voulait pas dire que les pays africains iraient mieux, mais seulement qu’ils auraient la surface financière pour absorber les financements occidentaux. »
Sur le modèle de développement des pays africains
« Le modèle de développement actuel qui dépend des marchés extérieurs, de la volatilité des cours etc ne permettra jamais de se désendetter suffisamment, il ne permet déjà pas de financer les besoins les plus importants, et il n’est pas capable de faire face aux besoins de la finance internationale. Si on reste dans un modèle comme celui-là, on aura beau annuler une dette, décider de moratoire, etc, on va reproduire les mêmes logiques. »
L’Afrique, comme subvention du capitalisme
« L’Afrique est la plus grande subvention d’aide au monde capitaliste. L’Afrique a fait une subvention en termes d’êtres humains. Aujourd’hui, personne ne peut dire quelle est la quantité d’uranium qui sort d’Afrique. Quand on met ensemble, les flux financiers illicites, l’évasion fiscale, la gestion prédatrice des ressources naturelles et stratégiques, parler d’aide est un non-sens. C’est davantage l’économie en régime de prédation qui est problématique, plus que la dette. L’enjeu pour les africains, c’est d’arrêter cette subvention indue. Parce qu’elle paupérise les africains, mais aussi parce qu’elle inflige des coûts que le monde n’apprécie que maintenant (comme les désordres écologiques). »