Une histoire du panafricanisme – Amzat Boukari-Yabara
Amzat Boukari-Yabara est docteur en histoire.
Spécialiste de l’histoire politique et culturelle du panafricanisme, il est l’auteur, entre autres, de Africa Unite! Une histoire du panafricanisme. Dans cet entretien accordé à l’institut de recherche et d’enseignement sur la paix, Thinking Africa, Amzat-Boukari revient sur son parcours et son engagement, expose le contenu de son livre « Africa Unite »,et argumente sur la pertinence du panafricanisme aujourd’hui face aux réalités politiques, sociales et économiques africaines.
Quelques verbatims extraits de l’entretien.
Sur la genèse du panafricanisme
Le panafricanisme est né du fait de la déportation de millions d’africains du continent africain vers les Amériques dans le cadre de la traite négrière transatlantique, fondatrice de ce qu’on appelle aujourd’hui le monde occidental (…) L’histoire du panafricanisme est la contre-histoire du modèle occidental qu’on veut nous donner. L’histoire du panafricanisme, apparue au moment de la révolution haïtienne, a plus de deux siècles d’existence. L’histoire du panafricanisme est réellement l’histoire contemporaine de l’Afrique.
Sur la réconciliation inter-africaine
Pour penser le panafricanisme, il faut penser la réconciliation. La réconciliation des africains de l’extérieur avec leur continent d’origine. La réconciliation entre eux par rapport à une histoire de division.
Sur la solidarité entre la diaspora africaine des Amériques et le continent
La solidarité scientifique et économique, entre la diaspora des Amériques et le continent, quelque chose qui a déjà existé dans le passé mais qui n’a pas été en mesure de se maintenir au moment de l’offensive néolibérale contre les différents types d’organisation du monde noir. Le rapport de force économique, qui a joué en notre défaveur, renvoie à la nécessité d’avoir des Etats, c’est-à-dire des entités juridiques et politiques, suffisamment forts pour accompagner ce type de mesures.
Sur la philosophie politique africaine
L’Afrique a suffisamment de sources philosophiques qui sont en mesure de répondre aux attentes de populations africaines. Aujourd’hui, la tâche principale est de réhabiliter politiquement les concepts africains, tels que l’Ubuntu et l’Ujamaa, de la même manière que les systèmes politiques japonais, chinois, ou indochinois, de manière générale, reposent effectivement sur des philosophies et spiritualités. […] Le grandi défi est de nous réapproprier nos concepts, de les réactualiser et de les retranscrire dans des structures et organisations en mesure de tenir le choc auquel l’Afrique est confrontée. Un choc des civilisations qui s’appuie sur la capacité d’effacer totalement la culture africaine, de la même manière que la colonisation s’est fondée sur la nécessité d’effacer l’intégralité de la culture africaine qui était jugée contre-progressiste voire même réactionnaire.
Sur les concepts d’Ubuntu et d’Ujamaa
L’Ubuntu renvoie au concept de solidarité d’entre-humanité. C’est-à-dire que notre humanité se conçoit par rapport à l’humanité des autres. Par conséquent, il est très important de réhabiliter un élément consubstantiel de l’identité africaine, à savoir la dignité. Le concept d’Ujamaa revient à l’idée de mettre en commun les efforts pour avancer. Il est l’équivalent du ciment qui fonde la société.
Sur le rôle de l’histoire.
Aujourd’hui, ce dont l’Afrique a éminemment besoin pour avancer et s’unir, c’est d’une part, des historiens panafricains, et d’autre part, une catégorie sociale que l’on a longtemps négligé, les psychiatres. Nous avons besoin aujourd’hui de personnalités comme Frantz Fanon, capables d’étudier le trauma et les difficultés qu’éprouvent les peuples africains – mais aussi caraïbéens – qui s’interrogent sur leurs identités et qui ont connu une histoire faite de violences en leur encontre.
Sur l’importance de la RD Congo
Aujourd’hui, l’influence africaine la plus importante dans le monde entier, c’est l’influence qui vient du Congo. Ce pays, la RD Congo, est stratégiquement très important. C’est pour cela que Kwame Nkrumah voulait mettre au Congo, la capitale des futurs Etats-Unis d’Afrique. Tant qu’on ne mettra pas le paquet sur le Congo, on aura beaucoup de mal à nous en sortir. Il est important que le Congo fédère le plus d’africains possible dans une dynamique panafricaniste.
Sur le retard stratégique africain
Le monde entier est en train de réfléchir sur l’Afrique. On crée des centres d’études africaines un peu partout. Et tandis que le monde entier réfléchit sur l’Afrique, l’Afrique ne réfléchit ni sur elle-même ni sur le reste du monde.